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VENIR À BOUT DES DOULEURS CHRONIQUES AVEC LES THÉRAPIES NUMÉRIQUES

11 FÉV. 2021 | N°1581 | WWW.KINEACTU.COM

FORMATION CONTINUE 19

Après une première édition très réussie en janvier 2020,
le congrès Paris Santé Femmes s’est déroulé cette année de manière virtuelle.
Le programme était riche et varié. Parmi les sessions proposées par
le Collège de la masso-kinésithérapie, nous avons retenu cette intervention
sur un traitement innovant de la douleur chronique (pas seulement chez
la femme, d’ailleurs) grâce à la réalité virtuelle. En voici un compte-rendu.

VENIR À BOUT
DES DOULEURS CHRONIQUES
AVEC LES THÉRAPIES NUMÉRIQUES

Face à une douleur qui empoisonne la vie de la patiente, le kinésithérapeute se trouve parfois démuni. Après un cancer du sein, par exemple, 20 à 40 % des patientes (selon les sources) ont des douleurs chroniques persistantes. En plus, les facteurs de risque sont nombreux, c’est pourquoi la médecine est parfois démunie pour les prendre en charge lorsque les techniques classiques ne fonctionnent pas.
Autre exemple : les algies pelviennes. 40 % des femmes connaîtront au moins un épisode au cours de leur vie. Or seule la moitié de ces algies sont d’origine gynécologique. Pour l’autre moitié, les examens complémentaires sont généralement normaux. C’est donc une pathologie complexe à évaluer et à prendre en charge.
“C’est dans votre tête !” C’est ce qu’on dit souvent aux femmes qui souffrent d’endométriose ou de vulvodynie… Inutile de rechercher des facteurs bio-psycho-sociaux prédisposants chez la patiente. C’est plutôt le signe de l’insuffisance du praticien face à cette douleur.
Dans ce contexte, les outils numériques peuvent être pertinents. Stéphane Fabri a présenté ce mode de prise en charge novateur.

Les limites de l’approche mécanique homme/machine
Il faut parfois être capable de remettre en cause sa conception de la douleur. La douleur n’est pas toujours visible à l’imagerie. À chaque douleur ne correspond pas toujours un élément lésionnel visible. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est d’ordre psychologique. Il faut s’intéresser à la neurologie centrale et à la façon dont est traitée l’information.
La douleur est centrale, produite par le cerveau.
C’est bien de la neurologie, et non de la psychologie. On la définit comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésiontissulaire réelle ou potentielle.
Elle a 4 composantes : sensori-discriminative, affective (ou émotionnelle), cognitive et comportementale.
La nociception est périphérique (Fig. 1). Un processus sensoriel est à l’origine des signaux nerveux nociceptifs. Cela fonctionne comme un système d’alarme contre un danger potentiel. Il existe tout au long du parcours des systèmes de blocage de la douleur, qui sont plus puissants que n’importe quel médicament : le système neuro-inhibiteur descendant (SNID) et le gate control au niveau de la moelle épinière. Mais ils sont parfois défaillants : c’est la maladie douloureuse.
Important : Des études (dont Whiteside et al., 2004) ont montré que la fatigue musculaire augmentait l’hyperalgie. Elle perturbe les systèmes de blocage de la douleur. La douleur est donc liée à l’état de fatigue et la fatigabilité du sujet.
Il faut connaître le fonctionnement de la douleur pour bien la combattre.
Ensuite, le kinésithérapeute doit trouver la clé.

Kiné Actu Kiné actu 2

Les croyances du patient… et celles du praticien
Quand on parle de douleur chronique, on ne peut pas écarter les croyances. Celles du patient comme celle du kinésithérapeute. La communication et l’éducation du patient sont des éléments majeurs du soin et peuvent avoir un effet rassurant… ou au contraire délétère ! Par exemple, un kinésithérapeute qui parle beaucoup pour tout expliquer, fort de ses connaissances, risque de réaliser une démonstration toxique et anxiogène. Il doit plutôt proposer des solutions à la patiente pour lui donner une perspective de guérison.
Très vite, dès la première séance, il faut dire à la patiente que vous la croyez, qu’elle a réellement mal et qu’elle n’est pas folle. Stéphane Fabri a fait allusion à différents films pédagogiques très bien faits qui peuvent servir de support si besoin. Il faut ensuite lui expliquer que ce n’est pas forcément très grave, que c’est son système d’inhibition de la douleur qui est défaillant et que le but du traitement sera de le rétablir.

La structuration de la douleur
On sait aujourd’hui que la multiplication des examens d’imagerie favorise l’installation de la douleur chronique. Beaucoup de choses se passent au niveau du cerveau, notamment la sécrétion de substances chimique (comme la cholecystokinine) qui amplifient la nociception. Heureusement, le cerveau a aussi le pouvoir d’inverser la tendance en sécrétant des molécules dérivées des endorphines.
La clé est dans le cerveau. Donc la réintégration doit se faire par le biais d’une approche centrale, en se servant du référentiel visuel (Candida 2008, Moseley 2006). C’est valable pour toutes les douleurs chroniques féminines mal expliquées, en peine de diagnostic et de prise en charge adaptée.

La réalité virtuelle, un antalgique numérique
L’idée est de tromper le cerveau avec la réalité virtuelle. Ce procédé a été mis au point par le
Dr Hoffman, qui traitait des grands brûlés. Son but était de leur éviter de prendre trop d’opioïdes pour lutter contre la douleur. La réalité virtuelle agit comme un antalgique numérique. On extrait la patiente de sa corporalité (dans un premier temps).
La littérature est encourageante. De nombreux articles montrent que la réalité virtuelle a un réel impact bénéfique sur la douleur chronique, qu’elle est efficace rapidement et que les bénéfices perdurent dans le temps. Elle serait même plus efficace que l’hypnose (Gupta et al. 2018).
Elle permet de réduire la douleur chronique après un cancer du sein (Austin et al. 2019, Garett et al. 2020). Les exergames à intensité modérée réduisent la sensibilité à la douleur (Carey C. 2017, Matteo 2017).
Ils sont efficaces sur la douleur et la fonction après cancer du sein (Furtado de Oliveira et al. 2020).
Leur efficacité est liée au plaisir de la patiente pendant la séance (Howard M.C. 2017).
Combiner réalité virtuelle passive et active Dans ce domaine, il existe à la fois des techniques passives et actives. Les 2 sont importantes. Le principe du traitement est d’exposer progressivement la patiente aux contraintes. D’abord un milieu très immersif, sans faire de gestes, puis emmener la patiente sur des terrains avec des contraintes fonctionnelles proches des difficultés qu’elle ressent dans sa vie quotidienne, professionnelle et/ou sportive.
Au début, on lui fait faire des gestes qui ne provoquent pas de douleur, puis on l’amène progressivement aux gestes qu’elle redoute. La réalité virtuelle fait office de distraction et petit à petit, la patiente arrive à les réaliser sans avoir mal.
Vient un moment où il faut confronter la patiente à son image, car la douleur chronique est souvent liée à une image corporelle déformée, en particulier chez les patientes douloureuses chroniques. Donc améliorer cette image entraîne une amélioration des symptômes de la douleur chronique.
Dans la continuité de la réalité virtuelle immersive (avec un masque), on peut faire une transition avec des exergames, qui sont des jeux vidéo avec modélisation et reconstruction de l’image corporelle grâce à un avatar. D’ailleurs, à son cabinet, Stéphane Fabri dispose d’une salle dédiée à la réalité virtuelle : il est important que l’avatar fasse la même taille que la patiente, afin que celle-ci puisse s’identifier plus facilement.
Le jeu conserve le même principe d’hypnose, donc intègre la patiente dans un modèle virtuel, mais sans masque et non immersif (ou avec une immersion modérée). L’avantage de la modélisation corporelle par le biais de l’avatar, c’est qu’elle permet une thérapie miroir globale à visée de reconstruction de l’image corporelle, en effectuant des mouvements proposés par le jeu. Ces exercices demandent de la concentration, mais ils restent ludiques.
Après les exergames, la patiente sera capable de faire des exercices physiques plus traditionnels (mobilité, renforcement musculaire, travail sur vélo éliptique, activité physique en salle ou en plein air). C’est important parce qu’on sait que l’activité physique a généralement un effet analgésique, grâce aux mécanismes inhibiteurs centraux (production d’opioïdes naturels – cf Lima et al. 2017). Mais attention : l’effort doit être adapté à la patiente. S’il est excessif, il peut produire l’effet inverse.

Conclusion
Les kinésithérapeutes doivent s’intéresser à la réalité virtuelle car elle offre des leviers intéressants pour s’attaquer à la douleur. Dans certains cas, elle est vraiment pertinente. L’approche centrale des pathologies douloureuses est une piste très prometteuse.
Il faut se détacher de la vision qu’on a parfois de “l’homme-machine” et de la “douleur structure”.
Il y a parfois des structures lésées qui ne sont pas douloureuses, et des structures saines qui sont pourtant douloureuses, malgré le traitement. Il faut accepter l’idée que le cerveau est capable de produire de la douleur tout seul, et que cela n’a rien de psychologique.
SOPHIE CONRARD

Intervention proposée par Stéphane Fabri, MKDE et ostéopathe (34). Aucun lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique ou les fabricants de dispositifs médicaux.

QUESTIONS À STÉPHANE FABRI
Comment avez-vous démarré ?
J’ai débuté avec de la VR (virtual reality, ou réalité virtuelle) grand public, un téléphone portable, un masque Samsung Gear et des films VR 360 sur YouTube. C’est de la VR passive. C’est intéressant pour se faire la main mais c’est limité. Pour aller plus loin, j’ai observé ce qui était disponible sur le marché et j’ai été séduit par le dispositif de Virtualis. Il a été développé par Franck Assaban, un kinésithérapeute qui s’est lancé dans le numérique en santé. Il est parti du concept de rééducation et a construit un outil adapté. Il est parfaitement en adéquation avec ce dont j’ai besoin en cabinet car son utilisation s’insère dans une approche globale, qui respecte la fidélité cognitive et fonctionnelle du mouvement. Avec les modules de VR qu’il a développés, on va encore plus loin, avec la possibilité pour le patient de faire des exercices en double tâche dans un environnement totalement immersif.

Comment ça fonctionne ?
Beaucoup de choses sont gérées par le cerveau : le schéma moteur, la stabilité articulaire, les perceptions corporelles, la douleur. Quand l’approche traditionnelle mécaniste périphérique échoue, il faut aller au coeur du problème : dans le cerveau. Au niveau moteur et perceptif, les portes d’entrée sont la somesthésie (perception corporelle), le système vestibulaire et l’oeil. Elles fonctionnent ensemble au niveau de la perception corporelle nécessaire à la stabilité articulaire et à la production du geste. Il existe une hiérarchie et l’oeil prend l’ascendant sur les autres. La VR utilise cette caractéristique pour mettre le patient dans un environnement d’illusion qui va changer ses modèles internes. C’est une forme d’hypnose numérique qui produit une dissociation avec la réalité pour produire des changements fonctionnels thérapeutiques dans le cerveau.

Pourquoi est-ce si intéressant ?
Les exercices que l’on prescrit ont des limites, tant au niveau des performances que des perceptions. On sait aujourd’hui que l’élément qui limite les performances d’un individu n’est pas sa capacité physique, c’est sa perception de l’effort demandé. Quand les gens disent “c’est dans la tête”, ils ont raison mais cela n’a rien à voir avec le caractère psychologique : ce sont des neurosciences. La VR “va dans la tête des patients” pour modifier cette perception de l’effort en rendant l’environnement différent et agréable. Un douloureux chronique est souvent dans un contexte de kinésiophobie. Tout effort dans ce contexte sera perçu comme une agression et sera contreproductif car générateur de douleur, même si l’exercice n’est pas en cause. La VR met le patient dans un environnement modifié et rassurant de manière à jouer sur ses croyances et lever ses freins. Les exercices peuvent alors se dérouler dans de meilleures conditions.
Aujourd’hui, les kinésithérapeutes qui utilisent ce type d’outils restent peu nombreux. C’est pourquoi je réfléchis à une formation sur la VR et les nouvelles technologies. Afin qu’on ne dise plus aux patients en échec thérapeutique “c’est dans votre tête !” mais “c’est dans votre cerveau, et nous avons des outils adaptés et efficients pour y remédier”.
Extrait d’une interview publiée dans le Ka n°1573 en octobre 2020.

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